ManIF

2018 - 2020
Bruxelles, Belgique
Collaboration Collectif Baya

Fin 2018, nous avons commencé à travailler sur un nouveau projet CoCreate en partenariat avec Convivence, le Buurtwinkel et Sasha, un des centres de recherches de la faculté d'architecture de l'ULB. 

L'enjeu visé est de prendre à bras le corps la question de l'espace public au travers d'un des éléments clés le constituant : le mobilier urbain.

Notre dossier ayant été sélectionné pour une première phase d'étude, nous avons travaillé à l'écriture d'une proposition plus complète. Pour de nombreuses raisons, nous avons préféré ne pas continuer le projet en l'état, afin de pouvoir le faire murir un peu plus longtemps avant de nous lancer. 

En attendant de pouvoir vous en parler plus en détail, voici déjà quelques réflexions préliminaires que nous avons eues : 

Le Bureau du Plan prévoit l’arrivée de 10.000 nouveaux Bruxellois par an d’ici 2025.(1)

La densification urbaine augmente la pression sur les espaces ouverts qui se raréfient, ce qui tend à conflictualiser l’usage de l’espace public. Trouver place dans la ville est en effet problématique pour certains groupes : femmes, SDF, jeunes... La cohabitation est rendue difficile par des mécanismes de ségrégation, de confiscation de l’espace public par des groupes, mais également par l’aménagement de l’espace lui-même et en particulier par le choix, l’absence ou l’état d’entretien du mobilier urbain (bancs, barrières, obstacles...).

L’espace public, en tant qu’espace « accessible à tous et ayant la capacité de refléter la diversité des populations et des fonctionnements d’une société urbaine » (Casillo, 2013), est menacé à plusieurs titres :

• accessibilité limitée : la négligence envers les besoins d’usagers « faibles », « défavorisés » voire « non-désirés » (ex : dispositifs anti-SDF, passage non adapté aux PMR...) implique que l’espace public n’est pas effectivement accessible à tou.te.s (2) ;

• usages et appropriations limités : il y a souvent un manque d’adéquation entre ce dont les citadins ont besoin et les espaces et mobilier urbains qui sont à leur disposition. A cette limite s’ajoute les autorisations nécessaires à certaines formes d’appropriations, événementielles ou d’aménagement (ex : rassemblement, fête de rue, brocante, installation d’une assise ou de pots de fleurs sur le trottoir...), qui représentent des contraintes administratives non négligeables pour les publics qui ne maitrisent pas ces outils et donc un frein à l’appropriation de l’espace public par tou.te.s ;

• monopole de la production de l’espace public par les pouvoirs publics et les techniciens (depuis sa conception à sa gestion au quotidien) : les pouvoirs publics – en tant que décideurs et techniciens, commanditaires et gestionnaires, déléguant aussi une partie de leurs missions à des concepteurs ou constructeurs (architectes, urbanistes, promoteurs,...) – s’accaparent le choix, le mode de gestion et d’entretien du mobilier et en dépossèdent les citoyens ; ce monopole limite leurs possibilités d’action, d’appropriation et d’innovation. Des processus participatifs existent et tentent de les impliquer en amont d’un réaménagement spatial mais ils présentent des limites quant aux publics touchés et à leur temporalité, nous y reviendrons ;

• risques de la marchandisation et de la privatisation de l’espace public : certains espaces (terrasses, espaces publicitaires,...) sont privatisés et échappent à la gestion publique et aux usages collectifs ;

• standardisation et uniformisation du mobilier urbain : le recours aux « marchés stock » uniformise le mobilier et fait l’impasse sur la réflexion de son adéquation aux besoins. Or les autorités publiques sont de plus en plus dépendantes des marchés stock, des produits préfabriqués proposés par les entreprises (ex : JCDecaux), des contraintes budgétaires et logistiques (capacité et coût d’entretien, approvisionnement en pièces détachées, facilité d’accéder à du mobilier préfabriqué en masse plutôt que de formuler une commande auprès d’artisans,...).

Dans l’ensemble, ces différents constats traduisent une tendance à une évolution vers un espace public néolibéral : un espace répondant principalement à des logiques marchandes (nécessité de vendre des produits rentables), sécuritaires (exclusion de certains publics et non-prise en compte de leurs demandes, ou même de leur existence dans certains cas) et non à une logique de service envers les citoyens, où les citoyens sont considérés comme parties prenantes de la transformation de leur environnement. Dans un contexte de densification et de raréfaction de l’espace, l’enjeu de la construction d’un espace public démocratique n’est plus seulement un objectif à atteindre mais une nécessité pour garantir la paix urbaine.

Nous sommes toutefois conscients que l’espace public est un thème d’étude trop vaste et abstrait pour la plupart des acteurs concernés (autorités publiques, designers, personnel d’entretien, usagers, associations, entreprises...), particulièrement pour les citoyens. A l’échelle locale, sur laquelle notre projet intervient parce qu’il s’inscrit dans ce mouvement de reterritorialisation de l’action (Latour, 2017) nous proposons de travailler à partir d’un objet : le mobilier urbain. Celui-ci peut paraître insignifiant mais il nous paraît au contraire cristalliser les enjeux évoqués ci-dessus. Il en est tour à tour un traducteur : il révèle des enjeux de coexistence, de production de la ville, etc. et un acteur : sa matérialité promeut et prohibe des usages. Dans les échanges avec les habitants, le mobilier est l’élément qu’ils invoquent le plus souvent pour définir leurs usages de l’espace public ou les mécanismes d’exclusion qu’ils subissent. Il en est donc en quelque sorte le traducteur et une interface par laquelle ils entrent en contact avec l’espace public et la ville.

En menant à bien notre projet, il s’agit de comprendre et d’évaluer en quoi une méthodologie inclusive, qui implique pour la première fois tous les acteurs concernés (autorités, citoyens, designers, personnel d’entretien, associations, entreprises...) et ce tout au long des différentes phases du cycle de vie du mobilier, participe à la construction et au maintien d’un espace public démocratique (en termes de cohabitation, d’efficacité de l’action publique et de la gouvernance urbaine, de qualité d’espace public : propreté, fonctionnalité, bien-être, durabilité...).

Notre question de recherche centrale est la suivante :

Est-ce qu’envisager l’ensemble du cycle de vie du mobilier urbain et intégrer l’ensemble des acteurs concernés dans sa production peut améliorer la qualité de l’espace public ?

(1) Bureau Fédéral du Plan, Statistics Belgium 2016, p.59 – cité dans Plan Régional de Développement Durable, 2018, p.32.

(2) Par habitants, citoyens, acteurs, travailleurs, chercheurs, etc. nous désignons des habitant.e.s, citoyen.ne.s, acteurs.rices, travailleurs.euses, chercheurs.euses, etc. Par souci de concision ce compte-rendu n’utilise pas l’écriture inclusive de manière systématique.